Le délit de recel, infraction de conséquence par excellence, repose intégralement sur l’existence d’une infraction principale dont proviennent les biens ou les fonds recelés. Cette dépendance soulève des questions complexes quant à la caractérisation, la preuve et les limites de l’infraction d’origine. La solidité de l’accusation de recel dépend entièrement de la capacité à établir, sans équivoque, que les biens détenus ont une source criminelle ou délictuelle. L’intervention d’un avocat, avec son expertise en droit pénal, s’avère alors déterminante pour analyser la solidité des preuves et la qualification juridique des faits.

Cet article se propose d’analyser en profondeur les conditions, les exceptions et les subtilités jurisprudentielles relatives à l’infraction d’origine, pierre angulaire de la qualification du recel. Il s’inscrit dans le cadre plus large du cadre général du recel de choses, en se concentrant sur ce préalable indispensable.

La condition préalable : une infraction criminelle ou délictuelle indispensable

Pour qu’un recel soit constitué, l’article 321-1 du Code pénal exige que la chose provienne d’un crime ou d’un délit. Cette exigence exclut de fait les contraventions. Si la trilogie classique vol, escroquerie et abus de confiance demeure la source la plus fréquente des biens recelés, la jurisprudence a depuis longtemps admis que toute infraction, quelle que soit sa nature, peut servir de fondement au recel, dès lors qu’elle a généré un produit ou un bien.

La nature indifférente de l’infraction d’origine (vol, escroquerie, abus de confiance, atteintes aux biens ou à d’autres valeurs)

La rédaction actuelle de l’article 321-1 du Code pénal, en visant simplement “une chose [qui] provient d’un crime ou d’un délit”, a consacré une jurisprudence bien établie qui considérait la nature de l’infraction initiale comme indifférente. Ainsi, le champ des infractions d’origine s’est considérablement élargi. Au-delà des atteintes aux biens traditionnelles, le recel peut provenir d’infractions beaucoup plus variées, telles que l’abus de biens sociaux, le détournement de fonds publics, le faux en écriture, la prise illégale d’intérêts, le trafic d’influence, ou même le délit de favoritisme.

Cette extension ne se limite pas à la protection du patrimoine. Le recel peut également sanctionner la détention d’informations obtenues par la violation d’un secret protégé par la loi, comme le secret professionnel, le secret de l’enquête et de l’instruction, ou encore le secret fiscal. Dans ces cas, le “produit” de l’infraction n’est pas un bien matériel mais une information dont la détention ou l’utilisation par un tiers constitue le recel. Cette conception extensive démontre que le recel vise à sanctionner tous ceux qui bénéficient, en connaissance de cause, du produit d’une activité criminelle ou délictuelle, quelle qu’en soit la forme. Cette approche a des implications sur les aspects de la répression et des poursuites spécifiques au recel de choses, qui s’adaptent à la diversité des situations. Il est également pertinent de souligner la distinction entre recel et blanchiment de capitaux, deux infractions de conséquence qui, bien que proches, répondent à des logiques et des régimes juridiques distincts.

L’exigence de la caractérisation judiciaire de l’infraction préalable (rôle du juge pénal)

La condamnation pour recel est subordonnée à la démonstration que les biens détenus proviennent effectivement d’un crime ou d’un délit. Le juge pénal doit impérativement relever dans sa décision les éléments constitutifs de cette infraction d’origine. Une simple affirmation de “l’origine frauduleuse” des biens est insuffisante pour justifier une condamnation. La Cour de cassation censure systématiquement les décisions qui ne caractérisent pas précisément le crime ou le délit initial. Par exemple, pour un recel de vol, le juge doit constater l’existence d’une “soustraction frauduleuse”. Pour un recel d’escroquerie, il doit relever l’emploi de manœuvres frauduleuses, d’un faux nom ou d’une fausse qualité.

Cependant, il n’est pas nécessaire que toutes les circonstances de l’infraction d’origine soient déterminées avec précision. Il suffit que le juge établisse son existence de manière certaine. L’essentiel est que l’origine délictueuse ou criminelle de la chose soit judiciairement constatée, car elle constitue la condition sine qua non de l’existence du recel. Le prévenu, de son côté, n’a pas besoin d’avoir eu connaissance de la qualification exacte de l’infraction d’origine ; la conscience de la provenance frauduleuse suffit à caractériser l’élément intentionnel du recel.

Les situations particulières et l’absence d’infraction d’origine

Certains événements juridiques peuvent anéantir le caractère délictueux des faits à l’origine du bien, rendant ainsi la qualification de recel impossible. La disparition de l’infraction préalable, que ce soit pour des raisons de droit ou de fait, a pour conséquence directe de faire obstacle à toute poursuite pour recel.

L’impact de l’amnistie réelle, de l’abrogation de la loi ou du délit putatif

L’existence d’une infraction d’origine est une condition si fondamentale que tout événement venant supprimer le caractère punissable des faits initiaux fait disparaître par ricochet le délit de recel. C’est le cas de l’amnistie réelle, qui efface le caractère délictueux des faits eux-mêmes, à la différence de l’amnistie personnelle qui ne bénéficie qu’à l’auteur de l’infraction principale. De même, si une loi nouvelle abroge l’incrimination qui a servi de fondement à l’obtention des biens, le recel n’est plus constitué. Le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères empêche également de retenir le recel si les faits d’origine ne sont devenus illicites que postérieurement à la détention de la chose.

Le recel est également inconcevable en présence d’un délit putatif, c’est-à-dire une infraction qui n’existe que dans l’imagination de l’agent. Si une personne reçoit un bien en croyant à tort qu’il provient d’une infraction qui, en réalité, n’est pas constituée en droit, elle ne peut être poursuivie pour recel. La relaxe de l’auteur de l’infraction d’origine, si elle est fondée sur l’inexistence des faits, peut même ouvrir la voie à une demande de révision de la condamnation du receleur.

Le cas des choses abandonnées ou de l’infraction prescrite

La nature juridique de la chose au moment de son appropriation est déterminante. Une chose véritablement abandonnée (res derelicta) ne peut faire l’objet d’un vol, car elle n’appartient plus à personne. Par conséquent, celui qui la détient ne peut être qualifié de receleur. La jurisprudence se montre toutefois prudente et apprécie souverainement les circonstances de l’abandon. Ainsi, une lettre déchirée et jetée dans une corbeille à papier par un chef d’entreprise n’a pas été considérée comme abandonnée, et sa reconstitution a pu servir de base à des poursuites.

En revanche, la prescription de l’action publique concernant l’infraction d’origine n’a aucune incidence sur la possibilité de poursuivre le receleur. Le recel est un délit distinct et continu, dont la prescription court à partir du jour où la détention de la chose cesse. Ainsi, une personne peut être condamnée pour recel de biens provenant d’un vol, même si l’action pour ce vol est prescrite depuis longtemps. Cette autonomie du délit de recel renforce considérablement l’efficacité de la répression.

L’absence d’identification ou de condamnation de l’auteur de l’infraction préalable

L’autonomie du délit de recel par rapport à l’infraction d’origine se manifeste également dans les règles de poursuite. La condamnation du receleur n’est pas subordonnée à celle de l’auteur principal. Cette dissociation permet de réprimer le recel même lorsque l’auteur de l’infraction initiale reste inconnu ou impuni.

L’indifférence de l’identité ou de la poursuite de l’auteur principal

Il est de jurisprudence constante que le recel est constitué même si l’auteur de l’infraction d’origine est demeuré inconnu, est décédé, en fuite, ou n’a pas été poursuivi. De même, la relaxe de l’auteur principal pour une cause subjective (comme un trouble mental) n’empêche pas la condamnation du receleur, dès lors que l’existence matérielle de l’infraction a été constatée. L’immunité familiale, qui peut faire obstacle aux poursuites pour vol entre proches parents, ne bénéficie pas au receleur. En effet, l’immunité est une cause personnelle d’irresponsabilité qui n’enlève rien au caractère délictueux des faits.

L’essentiel, pour les juges, est de constater l’existence certaine d’un crime ou d’un délit ayant procuré la chose recelée. La condamnation du receleur est donc possible même si l’auteur de l’infraction principale n’a pas encore été jugé. Cette indépendance des poursuites est une illustration de la nature du recel comme délit distinct, visant à sanctionner un comportement propre : le fait de profiter sciemment d’une infraction commise par un autre.

Les limites en cas d’infraction impliquant une qualité spécifique (ex: violation du secret professionnel)

Le principe de l’indifférence de l’identité de l’auteur de l’infraction d’origine connaît une limite importante lorsque l’infraction suppose une qualité particulière chez son auteur. C’est notamment le cas de la violation du secret professionnel, qui ne peut être commise que par une personne légalement tenue à ce secret (médecin, avocat, fonctionnaire, etc.).

Dans une telle hypothèse, si l’auteur de la violation du secret n’est pas identifié, il est impossible d’établir que l’information a bien été divulguée par une personne dépositaire de ce secret. L’infraction d’origine n’étant pas caractérisée avec certitude, la condamnation pour recel devient impossible. La Cour de cassation a ainsi censuré des décisions qui condamnaient des journalistes pour recel de violation du secret de l’instruction ou du secret fiscal sans avoir identifié la personne à l’origine de la fuite, laissant ainsi planer un doute sur l’existence même de l’infraction initiale. Cette exigence garantit le respect du principe de la légalité des délits et des peines.

Jurisprudence et actualisation

La jurisprudence récente de la Chambre criminelle de la Cour de cassation continue d’affiner les contours de l’infraction d’origine en matière de recel. Un arrêt notable du 28 février 2017 (n° 17-80.694) a rappelé avec force que l’absence de preuve de l’infraction d’origine, en l’occurrence un vol d’œuvres d’art, interdit toute condamnation pour recel. Cette décision souligne que la condition préalable de l’existence d’un crime ou d’un délit est une exigence *sine qua non* sur laquelle les juges du fond doivent se pencher avec la plus grande rigueur. La simple détention d’un bien dans des conditions douteuses ne suffit pas à établir le recel si l’origine délictueuse de ce bien n’est pas formellement démontrée.

Dans un autre registre, un arrêt du 29 novembre 2016 (n° 15-86.409) a précisé que le recel, en tant qu’infraction continue, peut causer un préjudice personnel et direct aux héritiers du propriétaire initial du bien volé, dès lors que la détention par le receleur se poursuit après qu’ils ont acquis cette qualité. Cette solution confirme la nature continue du recel et son autonomie par rapport à l’infraction d’origine, notamment en matière de préjudice. Par ailleurs, un arrêt du 12 novembre 2015 (n° 14-83.073) a clarifié que le délit de recel de prise illégale d’intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l’infraction principale, même si celle-ci est prescrite, réaffirmant ainsi l’incompatibilité entre les qualités d’auteur de l’infraction principale et de receleur des mêmes faits.

La qualification de l’infraction d’origine est une étape cruciale et souvent complexe dans les affaires de recel, nécessitant une analyse approfondie des faits et de la jurisprudence. Si vous êtes confronté à une telle situation, l’assistance d’un avocat est indispensable pour faire valoir vos droits. Notre cabinet se tient à votre disposition pour vous accompagner et définir la meilleure stratégie de défense.

Sources

  • Code pénal, article 321-1
  • Code de commerce
  • Code de la propriété intellectuelle
  • Jurisprudence de la Cour de cassation, Chambre criminelle