Certaines arnaques relèvent d’une véritable mise en scène. Pensez à ces faux sites de banques, si parfaitement imités qu’ils trompent même les plus vigilants. Ou à ces schémas d’investissement promettant des rendements irréalistes, appuyés par des brochures luxueuses et de faux témoignages. Ou encore, à ces démarcheurs qui utilisent l’intervention d’un prétendu “client satisfait” (en réalité un complice) pour vous convaincre. Dans toutes ces situations, nous ne sommes plus face à un simple mensonge, mais à ce que le droit pénal appelle des “manœuvres frauduleuses”.

Comme nous l’avons vu, l’article 313-1 du Code pénal liste plusieurs moyens pouvant caractériser une escroquerie : l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, ou l’abus d’une qualité vraie. Mais il ajoute un quatrième moyen, souvent le plus complexe et le plus élaboré : l’emploi de “manœuvres frauduleuses”. Ce terme recouvre une grande diversité de stratagèmes et de machinations destinés à tromper la victime. Qu’est-ce qui distingue ces manœuvres d’un simple mensonge et quelles formes peuvent-elles prendre ?

Qu’est-ce qui transforme un mensonge en “manœuvre frauduleuse” ?

La clé pour comprendre les manœuvres frauduleuses est qu’elles vont au-delà de la simple affirmation mensongère, même si celle-ci est répétée ou faite par écrit. Pour que la loi considère qu’il y a “manœuvre”, le mensonge doit être appuyé, corroboré par des éléments extérieurs destinés à le rendre crédible.

La jurisprudence exige la présence d’actes positifs, d’une certaine machination ou mise en scène. Il ne s’agit plus seulement de parler, mais d’agir pour construire une apparence trompeuse. Un simple silence (réticence dolosive) ou une omission, même volontaire, ne suffit généralement pas à constituer une manœuvre frauduleuse au sens de l’escroquerie.

Quels sont ces éléments extérieurs qui donnent corps au mensonge ? La loi ne les liste pas de façon exhaustive, laissant une marge d’appréciation aux juges. Cependant, la jurisprudence a identifié trois grandes catégories d’actes qui, venant s’ajouter au mensonge initial, peuvent constituer des manœuvres frauduleuses :

  1. L’intervention d’une tierce personne (réelle ou imaginaire, de bonne ou de mauvaise foi).
  2. La production d’un écrit ou d’un document (vrai ou faux).
  3. Une mise en scène ou l’organisation d’un stratagème particulier.

Autre condition essentielle : ces manœuvres doivent avoir été la cause déterminante de la remise de la chose par la victime. C’est parce que la victime a été convaincue par ce stratagème (et pas seulement par le mensonge initial) qu’elle a accepté de remettre l’argent, le bien, ou de signer l’acte. En général, ces manœuvres doivent donc avoir lieu avant ou au moment de la remise. Des manœuvres réalisées après la remise ne peuvent, sauf exceptions très spécifiques (remises successives), caractériser l’escroquerie consommée.

Les buts des manœuvres : sur quoi porte la tromperie organisée ?

L’ancien article 405 du Code pénal listait précisément les buts que devaient viser les manœuvres frauduleuses : persuader de l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou crédit imaginaire, ou faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, accident ou autre événement chimérique.

Le nouvel article 313-1 se contente de dire que les manœuvres visent à “tromper une personne physique ou morale”. Bien que la liste explicite ait disparu, les buts qu’elle décrivait restent très souvent ceux que l’on retrouve dans les faits d’escroquerie par manœuvres frauduleuses. Ils illustrent bien les différentes illusions que l’escroc cherche à créer :

  • Persuader de l’existence de fausses entreprises : Il ne s’agit pas seulement de sociétés commerciales. Le terme “entreprise” est entendu largement comme tout projet, organisation ou montage. La fausseté peut être totale (l’entreprise n’existe pas) ou partielle (une entreprise réelle mais dont la situation, les activités ou les moyens sont présentés de façon frauduleuse).
    • Exemples : Création de sociétés écrans pour des carrousels de TVA ; montage d’une fausse œuvre caritative pour collecter des dons ; présentation d’une entreprise en faillite comme prospère pour attirer des investisseurs ou obtenir des crédits.
  • Persuader d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire :
    • Pouvoir imaginaire : Faire croire à une influence, une autorité, une compétence ou même des capacités surnaturelles que l’on ne possède pas.
      • Exemples : Prétendre pouvoir influencer une décision de justice ou administrative moyennant finance (proche du trafic d’influence, mais ici le pouvoir est fictif) ; exploiter des croyances superstitieuses en se faisant passer pour un guérisseur, un voyant, un marabout, avec mise en scène à l’appui.
    • Crédit imaginaire : Faire croire à une richesse, une solvabilité ou des actifs financiers que l’on n’a pas.
      • Exemples : Présenter de faux documents de propriété pour obtenir un prêt ; utiliser des systèmes complexes de chèques sans provision (cavalerie) pour donner une illusion de trésorerie ; monter une fausse maison de banque ou société d’investissement.
  • Faire naître l’espérance ou la crainte d’un événement chimérique : Créer l’illusion d’un gain futur irréaliste, d’une guérison miracle, d’un danger inexistant, etc.
    • Exemples : Jeux d’argent truqués (comme le bonneteau où des complices font croire à des gains faciles) ; loteries ou concours publicitaires bidons ; promesses de gains financiers extraordinaires (ventes pyramidales, type “système de Ponzi”) ; fausses menaces de procès pour obtenir un paiement ; promesses de mariage fallacieuses appuyées par des mises en scène pour obtenir de l’argent ; fausses offres d’emploi conditionnées à des achats ou formations coûteuses (parfois utilisées par des sectes).

Même si la loi actuelle ne mentionne plus ces buts spécifiques, les identifier aide souvent à comprendre la logique de la tromperie mise en place par l’escroc.

Les visages des manœuvres frauduleuses : exemples concrets

Comment ces manœuvres se matérialisent-elles ? Comme indiqué, la jurisprudence reconnaît principalement trois formes.

L’intervention d’un tiers : le complice ou l’instrument involontaire

C’est l’une des techniques les plus efficaces pour rendre un mensonge crédible : faire intervenir une autre personne qui va confirmer les dires de l’escroc. Cette intervention donne une caution extérieure, apparemment désintéressée, au mensonge.

  • Qui peut être ce tiers ? Une personne physique ou morale, un professionnel (notaire, avocat, expert, banquier…), un ami, ou même une personne totalement imaginaire dont l’escroc invente les propos ou les écrits.
  • Le rôle du tiers : Il doit activement (par ses paroles, ses écrits, ses actes) confirmer ou appuyer le mensonge de l’auteur principal. Son intervention doit être provoquée ou organisée par l’escroc (une confirmation spontanée et non sollicitée ne serait pas une manœuvre de l’escroc).
  • La bonne ou mauvaise foi du tiers : Pour que la manœuvre soit constituée du point de vue de l’escroc, il importe peu que le tiers soit de bonne foi (manipulé par l’escroc) ou de mauvaise foi (complice). Si le tiers est de mauvaise foi et conscient de participer à la fraude, il pourra lui-même être poursuivi comme complice. S’il est de bonne foi, il ne sera pas responsable pénalement, mais son intervention aura quand même servi à caractériser la manœuvre de l’escroc principal.
    • Exemples : Un faux client qui témoigne de la qualité d’un produit ; un expert automobile complice qui établit un faux rapport d’accident ; un notaire trompé qui, par sa seule présence et la rédaction d’un acte basé sur de fausses déclarations, donne une apparence de légitimité à l’opération ; un banquier qui, sur la base de faux documents, confirme la solvabilité d’un client.

La production d’écrits : la preuve fabriquée

Un mensonge, même convaincant, peut être insuffisant. Le renforcer par un document écrit lui donne souvent un poids décisif. La production d’un écrit devient une manœuvre frauduleuse lorsqu’elle ne constitue pas le mensonge lui-même, mais un acte extérieur destiné à l’étayer, à lui donner une apparence de vérité objective.

  • Nature de l’écrit : Le document peut être authentique mais utilisé de manière trompeuse, ou carrément faux ou falsifié. Peu importe qu’il émane de l’escroc lui-même ou d’un tiers (réel ou supposé). L’essentiel est qu’il serve à corroborer l’affirmation mensongère initiale.
  • Lien avec le délit de faux : Si le document produit est un faux au sens de la loi (altération de la vérité dans un écrit ayant une valeur probatoire et causant un préjudice), l’auteur pourra être poursuivi à la fois pour escroquerie et pour faux (ou usage de faux), comme vu précédemment.
  • Exemples très variés :
    • Documents commerciaux/comptables : Fausses factures (pour obtenir un prêt, un remboursement de TVA, une indemnité d’assurance), faux bilans ou comptes de résultats pour attester d’une prospérité fictive, faux bons de commande, fausses lettres de change…
    • Documents administratifs/officiels : Faux certificats (médicaux, de travail, de conformité…), fausses attestations, faux rapports d’expertise, faux dépôt de plainte pour simuler un vol auprès de l’assurance…
    • Documents judiciaires : Production en justice de pièces mensongères (factures, attestations, contrats…) pour tromper le juge et obtenir une décision favorable (c’est “l’escroquerie au jugement”).
    • Autres écrits : Fausse lettre de recommandation, faux contrat de travail, faux titre de propriété…

La simple présentation d’une facture non due ne suffit pas toujours (cela peut rester un simple mensonge écrit). Mais si cette facture est accompagnée d’autres éléments (faux bons de livraison, intervention d’un tiers…), ou si elle est produite en justice, elle peut devenir une manœuvre frauduleuse.

La mise en scène : créer l’illusion

Parfois, l’escroc ne se contente pas de paroles ou de documents : il organise tout un environnement, un scénario destiné à abuser la victime. C’est la “mise en scène”. Il s’agit d’actes matériels, d’arrangements concrets qui créent une fausse apparence de réalité.

  • Conditions : La mise en scène doit être spécifiquement montée par l’escroc dans le but de tromper. Le simple fait de profiter de circonstances existantes n’est pas forcément une mise en scène (par exemple, recevoir quelqu’un dans son bel appartement ne constitue pas en soi une mise en scène pour faire croire à sa richesse, sauf si l’appartement est loué spécialement pour l’occasion ou rempli d’objets d’emprunt).
  • Formes possibles :
    • Environnement physique : Création de faux bureaux ou d’un faux siège social pour donner l’illusion d’une entreprise sérieuse ; aménagement d’un cabinet de “guérisseur” avec des appareils pseudo-scientifiques ou une ambiance mystique ; utilisation d’un site web très professionnel pour une activité frauduleuse.
    • Stratagèmes comportementaux : Organisation de jeux truqués avec des complices ; simulation d’un accident ou d’une maladie (parfois avec des symptômes provoqués) ; utilisation de techniques de vente agressives et trompeuses impliquant des prétendues loteries ou des cadeaux qui se révèlent être des achats forcés.
    • Publicité et communication : Campagnes publicitaires massives et mensongères vantant des produits miracles ou des investissements fabuleux ; diffusion de fausses nouvelles ou de faux avis pour influencer la victime.

La mise en scène est souvent combinée avec l’intervention de tiers et la production d’écrits pour un effet maximal. Elle démontre une intention frauduleuse particulièrement caractérisée.

Les manœuvres frauduleuses représentent ainsi l’aspect le plus élaboré de l’escroquerie, transformant un simple mensonge en une véritable machination destinée à surprendre la confiance et à provoquer une remise préjudiciable. Leur diversité montre l’inventivité sans cesse renouvelée des escrocs, obligeant la justice à analyser précisément chaque stratagème pour déterminer s’il dépasse le seuil du simple mensonge et entre dans le champ d’application de l’article 313-1 du Code pénal.

Si vous êtes confronté à une situation qui vous semble relever d’une tromperie organisée, avec intervention de tiers, production de documents suspects ou mise en scène élaborée, il est possible que vous soyez en présence de manœuvres frauduleuses constitutives d’une escroquerie. Pour évaluer la situation et connaître vos droits, l’avis d’un avocat est indispensable. Contactez-nous pour en savoir plus.

Sources

  • Code pénal : article 313-1
  • Code de la consommation : article L.121-15 (pour les ventes pyramidales)