Qui n’a jamais rêvé, enfant, de se faire passer pour quelqu’un d’autre ? Si l’imitation peut être un jeu, usurper une identité ou prétendre avoir un statut qu’on n’a pas dans le but de tromper et d’obtenir quelque chose peut avoir des conséquences juridiques sérieuses. Dans le cadre de l’escroquerie, définie par l’article 313-1 du Code pénal, l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité constitue l’un des moyens frauduleux spécifiquement réprimés par la loi. Il s’agit même des moyens les plus directs de tromperie, visant à abuser la confiance de la victime en se présentant sous un jour fallacieux.

Plus subtil encore, le Code pénal sanctionne également “l’abus d’une qualité vraie”. Ici, l’escroc ne ment pas sur son statut, mais il l’utilise de manière détournée pour parvenir à ses fins. Explorons ensemble ces différentes facettes de la tromperie sur l’identité et le statut dans le délit d’escroquerie.

Utiliser un faux nom : définition et conditions

Le premier moyen cité par la loi est l’usage d’un “faux nom”. Qu’entend-on par là ? Il s’agit tout simplement pour une personne d’utiliser un nom patronymique qui n’est pas le sien pour tromper sur sa véritable identité. Peu importe que ce nom soit totalement imaginaire ou qu’il appartienne réellement à une autre personne.

Plusieurs points importants sont à noter :

  • Un usage “actif” est requis : Pour que l’escroquerie soit constituée, il ne suffit pas de laisser croire ou de ne pas corriger une erreur d’un tiers sur son nom. La jurisprudence exige un acte positif d’usage de ce faux nom par l’auteur lui-même. Répondre “oui” à quelqu’un qui vous appelle par un nom qui n’est pas le vôtre peut suffire à caractériser cet usage actif.
  • Le faux nom doit être déterminant : L’usage du faux nom doit avoir été la cause directe qui a poussé la victime à remettre la chose convoitée (argent, bien, etc.). Si le faux nom est utilisé après la remise, ou s’il n’a eu aucune influence sur la décision de la victime, l’escroquerie par ce moyen ne sera pas retenue. Il faut un lien de cause à effet.
  • Le consentement du “vrai” porteur du nom est indifférent : Même si la personne dont le nom est usurpé a donné son accord, l’usage de ce nom pour tromper un tiers et obtenir une remise reste punissable au titre de l’escroquerie. L’infraction vise à protéger la victime de la tromperie, pas seulement le porteur légitime du nom.
  • Le prénom compte aussi : L’usage d’un faux prénom, ajouté à son vrai nom ou utilisé seul pour créer une confusion, peut être assimilé à l’usage d’un faux nom si l’intention de tromper est démontrée et que cela a déterminé la remise.
  • Quid du pseudonyme ? En principe, utiliser le pseudonyme ou le surnom sous lequel on est habituellement connu n’est pas un “faux nom” au sens de l’escroquerie, car il n’y a pas forcément intention de tromper. Toutefois, si ce pseudonyme (ou même son vrai nom, s’il prête à confusion avec un homonyme célèbre ou influent) est utilisé avec des manigances pour créer volontairement une confusion et abuser la victime, l’infraction pourrait être caractérisée, mais relèverait alors plutôt des “manœuvres frauduleuses”.
  • Homonymie : Utiliser son propre nom mais en créant volontairement une confusion avec un homonyme (par exemple, en empruntant son prénom ou en laissant croire à une filiation) pour obtenir un avantage peut être considéré comme un usage de faux nom ou, selon les circonstances, comme une manœuvre frauduleuse.

En pratique, l’usage d’un faux nom “simple” est un procédé assez basique. Il est souvent couplé à d’autres mensonges ou manœuvres pour être efficace.

Prétendre avoir une fausse qualité : un levier de confiance puissant

Plus fréquent et souvent plus subtil que l’usage d’un faux nom, l’usage d’une “fausse qualité” est un autre moyen frauduleux prévu par l’article 313-1. Mais qu’est-ce qu’une “qualité” au sens de cette loi ? Le terme n’a pas de définition juridique unique et précise comme le “nom”.

La jurisprudence interprète ce terme de manière assez large. Il ne s’agit pas uniquement des titres officiels ou des professions réglementées (dont l’usurpation est d’ailleurs aussi punie spécifiquement par l’article 433-17 du Code pénal). La “qualité” englobe ici tout état, titre, profession, fonction ou attribut personnel dont une personne peut se prévaloir pour inspirer confiance, créer une illusion d’autorité ou de compétence, et ainsi tromper sa victime pour obtenir la remise.

Comme pour le faux nom, plusieurs conditions s’appliquent :

  • Il faut un usage actif de cette fausse qualité par l’auteur. Rester silencieux ou laisser croire ne suffit pas.
  • Cet usage doit être déterminant dans la décision de la victime de remettre la chose.
  • L’auteur doit s’attribuer une qualité qu’il n’a pas ou qu’il n’a plus.

Voyons quelques exemples concrets de fausses qualités retenues par les tribunaux :

Exemples de fausses qualités liées à la personne

Ces qualités touchent à l’état civil, au statut personnel ou social de l’individu :

  • Titres divers : Se prétendre faussement titulaire d’un titre de noblesse, d’une décoration, ou même d’une fonction honorifique peut constituer l’usage d’une fausse qualité si cela vise à inspirer une confiance particulière pour obtenir une remise.
  • Filiation : Se présenter comme l’enfant ou le parent d’une personne connue ou influente pour abuser la crédulité d’un tiers.
  • État civil : Prétendre faussement être marié, veuf, célibataire… La jurisprudence est parfois nuancée sur ce point, mais si le mensonge sur le statut matrimonial est utilisé pour obtenir un avantage indu (par exemple, une aide sociale réservée aux personnes seules), il peut être qualifié d’usage de fausse qualité.
  • Nationalité : Usurper une nationalité pour bénéficier de droits ou inspirer confiance de manière illégitime.
  • Statut social pour aides : C’est un cas fréquent. Se déclarer faussement chômeur pour toucher des allocations, se prétendre salarié alors qu’on est dirigeant de fait pour bénéficier d’aides, affirmer faussement ne pas vivre en couple pour une prestation… sont autant d’exemples où la jurisprudence retient l’usage d’une fausse qualité.

En revanche, le simple fait de mentir sur sa capacité juridique (par exemple, un mineur se disant majeur pour contracter) n’est généralement pas considéré comme l’usage d’une fausse qualité, mais comme un simple mensonge (qui peut entraîner la nullité du contrat civil, mais pas l’escroquerie pénale, sauf si ce mensonge est appuyé par des manœuvres frauduleuses caractérisées).

Exemples de fausses qualités liées à une profession ou fonction

C’est sans doute le domaine le plus vaste et le plus parlant. S’attribuer faussement une profession ou une fonction est un moyen classique pour gagner la confiance et tromper :

  • Fonctions publiques : Se faire passer pour un policier, un gendarme, un agent du fisc, un élu (maire, conseiller municipal…), un magistrat… pour obtenir de l’argent ou des informations.
  • Professions réglementées ou inspirant confiance : Prétendre être médecin, avocat, notaire, expert-comptable, architecte, journaliste, conseiller financier, inspecteur d’assurance, agent immobilier… alors qu’on ne l’est pas. L’escroc profite du crédit et de l’autorité attachés à ces professions.
    • Exemple récent : Les arnaques au “faux conseiller bancaire”, où l’escroc usurpe la qualité d’employé de banque pour obtenir des informations confidentielles ou faire valider des opérations frauduleuses par la victime elle-même.
  • Fonctions commerciales : Se présenter comme directeur, représentant, commercial d’une entreprise (réelle ou fictive), gérant, artisan qualifié… pour vendre des produits, obtenir des commandes ou des paiements indus.
  • Qualité religieuse : Se prétendre faussement prêtre, pasteur, rabbin, ou autre ministre d’un culte pour solliciter des dons ou abuser de la foi des personnes. Attention, la jurisprudence est plus réservée sur les qualités de “prophète” ou “envoyé de Dieu”, considérées comme relevant davantage de la croyance que d’une qualité vérifiable.

Le cas particulier de la fausse qualité de mandataire

Un cas spécifique et fréquent de fausse qualité est le fait de se prétendre faussement mandataire d’une autre personne ou d’une organisation. L’escroc affirme agir au nom et pour le compte d’un tiers (un particulier, une entreprise, une administration, une association caritative…) pour se faire remettre un bien ou de l’argent qui serait destiné à ce tiers. La jurisprudence considère cela comme l’usage d’une fausse qualité. Exemples : collecter des fonds pour une fausse œuvre de charité, réclamer un bien au nom de son prétendu propriétaire, se faire payer une dette due à un tiers.

Attention : affirmer un droit n’est pas une fausse qualité

Il y a une limite importante à la notion de fausse qualité. La jurisprudence constante considère que le simple fait de mentir sur l’existence d’un droit que l’on prétend détenir n’est pas constitutif de l’usage d’une fausse qualité. Il s’agit d’un simple mensonge.

  • Se dire faussement créancier : Réclamer une somme d’argent en prétendant à tort y avoir droit (par exemple, envoyer une facture pour une prestation inexistante) n’est, en soi, qu’un mensonge. Pour qu’il y ait escroquerie, il faudrait que ce mensonge soit appuyé par des manœuvres frauduleuses (faux documents, intervention d’un tiers…).
  • Se dire faussement propriétaire : Affirmer être le propriétaire d’un bien (immeuble, objet trouvé…) pour le vendre, le louer ou se le faire remettre n’est pas non plus, en soi, l’usage d’une fausse qualité. C’est l’affirmation mensongère d’un droit réel. Là encore, des manœuvres additionnelles seraient nécessaires pour basculer dans l’escroquerie.

Cette distinction peut sembler subtile, mais elle est essentielle : la loi réprime la tromperie sur ce que l’on est (nom, qualité), pas directement le mensonge sur ce que l’on a ou ce à quoi on a droit, sauf si ce mensonge s’accompagne des autres moyens prévus par l’article 313-1.

L’abus de qualité vraie : quand le statut légitime est détourné

Le Code pénal de 1994 a introduit une nouveauté importante : l’abus de qualité vraie. Contrairement aux cas précédents, ici, l’auteur ne ment pas sur son statut. Il possède réellement la qualité ou la profession dont il se prévaut (il est vraiment avocat, notaire, médecin, garagiste…). Mais il va abuser de la confiance ou de l’autorité que lui confère cette qualité pour tromper sa victime et obtenir une remise indue.

La fraude ne réside plus dans l’usurpation d’un statut, mais dans son utilisation malhonnête et détournée.

Quelques exemples illustrent bien ce mécanisme :

  • Un notaire qui profite de la confiance de ses clients (particulièrement vulnérables, comme une personne âgée) pour leur faire signer des actes désavantageux ou pour acheter lui-même un bien à un prix dérisoire, en abusant de son rôle de conseil et d’officier public.
  • Un médecin, un infirmier, un kinésithérapeute qui utilise sa qualité de professionnel de santé pour facturer à la Sécurité sociale ou à la mutuelle des actes médicaux fictifs ou surcotés. Il ne ment pas sur sa profession, mais il abuse de son statut pour obtenir des remboursements indus.
  • Un avocat qui utiliserait son statut et ses connaissances pour intimider ou tromper la partie adverse afin d’obtenir un avantage financier indu pour son client ou pour lui-même (par exemple, en prétendant faussement devoir corrompre un administrateur judiciaire).
  • Un garagiste qui abuse de sa qualité d’expert pour facturer des réparations inutiles ou inexistantes.

Dans tous ces cas, c’est bien la qualité vraie qui est le vecteur de la tromperie. L’abus doit, là encore, être la cause déterminante de la remise effectuée par la victime. Cette incrimination permet de sanctionner des comportements particulièrement répréhensibles, où la confiance légitimement accordée à certains professionnels ou statuts est trahie à des fins frauduleuses.

En conclusion, la tromperie sur l’identité ou le statut peut prendre des formes variées dans le cadre de l’escroquerie, allant de l’usage simple d’un faux nom à l’abus subtil d’une qualité réelle, en passant par l’usurpation de titres ou de professions. Chacun de ces moyens, s’il est utilisé activement et est déterminant pour obtenir une remise au préjudice d’autrui, peut suffire à caractériser le délit.

Faire face à une situation où l’on suspecte une tromperie sur l’identité ou le statut peut être déstabilisant. Si vous avez été victime de tels agissements, ou si l’on vous reproche d’avoir utilisé un faux nom, une fausse qualité ou d’avoir abusé de votre statut, une consultation juridique s’impose pour évaluer précisément les faits au regard de la loi. N’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options.

Sources

  • Code pénal : articles 313-1, 433-17