Nous avons exploré la définition de l’escroquerie, les moyens variés employés par les fraudeurs, ce qu’ils cherchent à obtenir et le préjudice causé. Mais pour qu’une personne soit effectivement condamnée pour escroquerie, d’autres éléments entrent en jeu. Quelle était son intention réelle ? Que se passe-t-il si l’arnaque échoue ? Et si d’autres personnes sont impliquées ? Enfin, quelles sont concrètement les étapes des poursuites et les sanctions encourues ?
Cet article aborde ces questions essentielles : l’élément moral de l’infraction (l’intention), le sort de la tentative, le rôle des complices, et les conséquences judiciaires, tant pour l’auteur que pour la victime. Comprendre ces aspects est déterminant, que l’on soit victime cherchant réparation ou personne mise en cause devant se défendre.
L’intention coupable : la volonté de tromper
Comme la plupart des délits, l’escroquerie est une infraction intentionnelle. L’article 121-3 du Code pénal le rappelle : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Cela signifie qu’on ne peut pas être condamné pour escroquerie par simple négligence, imprudence ou maladresse. Il faut prouver que l’auteur a agi sciemment, avec la volonté d’utiliser des moyens frauduleux (faux nom, fausse qualité, abus de qualité vraie ou manœuvres frauduleuses) dans le but spécifique d’obtenir la remise de la chose convoitée (fonds, bien, service, acte).
- Conscience et volonté : L’auteur doit avoir conscience du caractère trompeur de ses actes et vouloir le résultat, c’est-à-dire la remise indue. C’est ce qu’on appelle la “mauvaise foi” ou le “dol général” en droit pénal.
- Preuve de l’intention : Prouver ce qui se passe dans la tête de quelqu’un est toujours délicat. En pratique, l’intention coupable est souvent déduite des faits matériels eux-mêmes. La complexité des manœuvres, l’usage d’un faux nom évident, la répétition des actes… sont autant d’indices qui permettent aux juges d’inférer l’intention frauduleuse. L’appréciation de cette intention relève du pouvoir souverain des juges du fond (tribunal correctionnel, cour d’appel).
- Indifférence du mobile : Il est crucial de distinguer l’intention (la volonté de commettre l’acte interdit) du mobile (la raison personnelle qui pousse à agir). Le droit pénal, sauf exceptions, ne tient pas compte du mobile pour déterminer si une infraction est constituée. Même si l’auteur poursuit un but qu’il estime légitime (par exemple, récupérer une somme qu’il pense lui être due, aider un proche…), s’il utilise pour cela des moyens frauduleux caractéristiques de l’escroquerie, l’infraction sera constituée. Le mobile pourra éventuellement être pris en compte par le juge au moment de fixer la peine, mais pas pour écarter la culpabilité.
- Restitution postérieure : Si l’escroc, pris de remords ou par peur des conséquences, restitue ce qu’il a obtenu après coup, cela n’efface pas l’infraction. L’escroquerie est consommée dès la remise obtenue par fraude. La restitution n’est qu’un “repentir actif” qui, là encore, pourra éventuellement influencer la peine, mais ne fait pas disparaître le délit.
La tentative d’escroquerie : quand le plan échoue
Parfois, l’escroc met en œuvre ses stratagèmes, mais n’arrive pas à obtenir la remise convoitée. La victime se méfie au dernier moment, la banque bloque le virement suspect, la police intervient… L’escroquerie n’est alors pas “consommée”. Est-ce que l’auteur s’en sort sans conséquence ? Non. La tentative d’escroquerie est punissable au même titre que l’escroquerie elle-même (article 313-3 du Code pénal).
Mais attention, pour qu’il y ait tentative punissable, deux conditions doivent être réunies (article 121-5 du Code pénal) :
- Un commencement d’exécution : L’auteur doit avoir dépassé le stade des simples actes préparatoires (acheter du matériel, faire des repérages, imaginer un plan…). Il doit avoir commencé à réaliser l’infraction elle-même, en utilisant concrètement l’un des moyens frauduleux (commencer à utiliser le faux nom pour négocier, présenter le faux document, mettre en place la mise en scène, faire intervenir le tiers…). Cet acte doit tendre directement et immédiatement à la commission de l’infraction et manifester sans équivoque son intention délictueuse.
- Exemple : Une simple déclaration de sinistre fictif à une assurance, si elle n’est suivie d’aucune demande d’indemnisation ou production de justificatifs, pouvait être vue comme un acte préparatoire. Mais la jurisprudence considère maintenant souvent que dès cette déclaration intentionnellement fausse, il y a commencement d’exécution car elle déclenche le processus d’indemnisation. La production d’un faux certificat de dépôt de plainte pour vol est clairement un commencement d’exécution.
- Une absence de désistement volontaire : L’échec de l’escroquerie ne doit pas venir de la propre volonté de l’auteur qui aurait changé d’avis (“désistement volontaire”). Il faut que l’infraction ait été manquée ou interrompue à cause de circonstances indépendantes de sa volonté (intervention d’un tiers, résistance de la victime, découverte de la fraude…).
Si ces deux conditions sont remplies, la tentative est punissable, et l’auteur encourt les mêmes peines que s’il avait réussi.
La complicité : aider ou encourager l’escroc
L’escroquerie est souvent une affaire qui implique plusieurs personnes. Nous avons vu que l’intervention d’un tiers pouvait constituer une manœuvre frauduleuse. Si ce tiers agit en connaissance de cause, avec l’intention d’aider l’auteur principal à commettre l’escroquerie, il devient complice.
La complicité est définie par les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal. Pour être punissable, elle suppose :
- Un fait principal punissable : Il faut qu’une escroquerie (ou une tentative d’escroquerie) ait été commise par l’auteur principal.
- Un acte matériel de complicité : Le complice doit avoir commis l’un des actes prévus par la loi :
- Aide ou assistance : Fournir des moyens matériels (faux documents, local…), intellectuels (conseils pour monter l’arnaque…), ou physiques (faire le guet, accompagner l’auteur…) qui ont facilité la préparation ou la commission de l’escroquerie.
- Provocation ou instructions : Pousser l’auteur à commettre l’infraction (par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir) ou lui donner des instructions précises pour la réaliser.
- Une intention de s’associer : Le complice doit avoir agi sciemment, en sachant qu’il aidait à la commission d’une infraction et en ayant la volonté de le faire. C’est cette intention qui distingue le complice (de mauvaise foi) du tiers de bonne foi qui aurait été manipulé sans le savoir.
L’acte de complicité doit avoir eu lieu avant ou pendant la commission de l’escroquerie par l’auteur principal. Une aide apportée après coup (par exemple, aider à cacher le produit de l’escroquerie) ne relève pas de la complicité mais peut constituer une autre infraction (recel).
Le complice est puni comme s’il était l’auteur de l’infraction. Il encourt donc les mêmes peines maximales. Le juge pourra cependant individualiser la sanction en fonction du rôle joué par chacun.
Les poursuites judiciaires : comment l’affaire est traitée
Une fois les faits d’escroquerie (ou de tentative) suspectés, comment l’affaire arrive-t-elle en justice ?
- Déclenchement de l’action publique : C’est le Procureur de la République (Ministère public) qui décide d’engager les poursuites. Contrairement à certaines infractions, une plainte de la victime n’est pas obligatoire pour que les poursuites soient lancées, même si elle est fréquente et utile. Le Procureur peut agir d’office s’il a connaissance des faits.
- Prescription : L’action publique doit être engagée dans un certain délai après les faits, sinon elle est prescrite. Pour l’escroquerie (un délit), ce délai est de six ans (article 8 du Code de procédure pénale).
- Point de départ : Le délai court à compter du jour où l’infraction a été commise. Pour l’escroquerie, c’est le jour de la remise de la chose par la victime. Si les remises sont successives (par exemple, percevoir indûment une allocation chaque mois), le délai court à partir de la dernière remise. Si l’escroquerie se réalise via un compte courant, le point de départ peut être la date de clôture du compte.
- Infractions occultes ou dissimulées : Une loi de 2017 (codifiée à l’article 9-1 du Code de procédure pénale) a précisé que pour les infractions “occultes” (dont les éléments constitutifs empêchent la découverte) ou “dissimulées” (l’auteur masque activement sa commission), le délai de prescription ne court qu’à partir du jour où l’infraction a pu être découverte, dans la limite d’un délai butoir de douze ans après la commission des faits pour les délits. L’escroquerie, par sa nature trompeuse, peut souvent entrer dans cette catégorie, permettant des poursuites plus tardives.
- Immunité familiale : L’article 311-12 du Code pénal (rendu applicable à l’escroquerie par l’article 313-3) prévoit une immunité qui empêche les poursuites pénales pour les escroqueries commises entre certaines personnes :
- Au préjudice de son ascendant ou descendant.
- Au préjudice de son conjoint (sauf si les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément).
- Exceptions importantes : Cette immunité ne joue pas si l’escroquerie porte sur des “objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime” (papiers d’identité, titres de séjour…) ou sur des moyens de paiement (carte bancaire, chéquier…). Cette dernière exception, introduite en 2006 et précisée par la jurisprudence, limite considérablement la portée de l’immunité dans les cas fréquents d’utilisation frauduleuse des moyens de paiement du conjoint ou d’un parent.
- Portée personnelle : L’immunité ne bénéficie qu’à la personne ayant le lien familial requis avec la victime. Les éventuels co-auteurs ou complices qui n’ont pas ce lien restent poursuivables.
- Tribunal compétent : L’escroquerie est jugée par le Tribunal correctionnel. La compétence territoriale revient généralement au tribunal du lieu où l’infraction a été commise (lieu d’utilisation des moyens frauduleux ou lieu de la remise), du lieu de résidence du prévenu, ou du lieu d’arrestation. Si l’escroquerie a des éléments en France et à l’étranger, les tribunaux français sont généralement compétents dès qu’un fait constitutif a eu lieu en France.
Les sanctions encourues et la réparation pour la victime
Si la personne est reconnue coupable d’escroquerie ou de tentative, quelles sont les conséquences ?
- Sanctions pénales :
- Peines principales : L’escroquerie simple est punie d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende (article 313-1).
- Peines aggravées : L’article 313-2 prévoit des peines plus lourdes (sept ans et 750 000 €, voire dix ans et 1 million d’euros) lorsque l’escroquerie est commise avec certaines circonstances aggravantes (par une personne dépositaire de l’autorité publique, au préjudice d’une personne vulnérable, en bande organisée…).
- Personnes morales : Une entreprise (société, association…) peut être déclarée pénalement responsable d’une escroquerie commise pour son compte par ses organes ou représentants. L’amende encourue est alors multipliée par cinq, et d’autres peines peuvent être prononcées (dissolution, interdictions…).
- Peines complémentaires : En plus de la prison et/ou de l’amende, le juge peut prononcer des peines complémentaires (interdiction d’exercer une activité professionnelle, interdiction des droits civiques, confiscation…).
- Réparation civile pour la victime : La condamnation pénale ne suffit pas toujours à réparer le préjudice subi par la victime. Celle-ci a le droit d’agir pour obtenir des dommages-intérêts.
- Action civile : La victime peut se constituer “partie civile” devant le tribunal correctionnel pour demander réparation de son préjudice (matériel et éventuellement moral) directement dans le cadre du procès pénal. Elle doit justifier d’un préjudice personnel et direct découlant de l’infraction.
- Restitution : Si les biens ou fonds escroqués sont retrouvés, le tribunal peut en ordonner la restitution à la victime.
- Pas de “mains sales” en pénal : Même si la victime a pu être imprudente ou a participé à une opération illégale à l’occasion de laquelle elle a été escroquée (par exemple, jeux clandestins, marché noir…), elle conserve son droit à réparation contre l’escroc. L’adage civiliste “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans” (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) ne s’applique pas de la même manière en droit pénal.
- Indemnisation par la solidarité nationale (CIVI) : Si l’auteur de l’escroquerie est insolvable ou inconnu, la victime peut, sous certaines conditions (notamment de ressources et de gravité de la situation matérielle résultant de l’infraction), saisir la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) pour obtenir une indemnité de la part de l’État (article 706-14 du Code de procédure pénale).
Naviguer dans les complexités d’une affaire d’escroquerie, que ce soit pour faire valoir ses droits en tant que victime ou pour organiser sa défense en tant que mis en cause, requiert une expertise juridique pointue. Les enjeux sont importants, tant sur le plan pénal que financier. Un conseil adapté à votre situation spécifique est essentiel pour prendre les bonnes décisions. Pour sécuriser vos démarches et défendre au mieux vos intérêts, notre équipe se tient à votre disposition.
Sources
- Code pénal : articles 121-3, 121-5, 121-6, 121-7, 311-12, 313-1, 313-2, 313-3, 313-9
- Code de procédure pénale : articles 2, 8, 9-1, 427, 706-14